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VI-Visible - Invisible

1- Ossatures et radiographies

Parfois, l’imaginaire conserve des traces d’une rencontre avec la réalité dont nous recherchons l’ossature, la structure interne : un objet, un paysage urbain (Usines dans le matin), un événement (Les Pink Floyd, Le Football). L’ossature n’est pas un schéma,elle n’a rien de mesuré : c’est la sensation de l’essentiel non visible, un peu comme le support en fils de fer qui porte la chair de la sculpture. Cette période de création a certainement été inconsciemment influencée par une interrogation sur les écritures non-verbales ; traçages, projection des formes mouvantes qui peuplent l’imagination, comme un coup de sonde aléatoire dans l’inconnu de la pensée visuelle: une pensée sans langage! Ainsi se confirme ce que j’ai pressenti et ensuite essayé de démontrer : “ l’art n’est pas un langage ”, puisque sa particularité est d’échapper aux codes, aux modes de production. Point de vue se démarquant de la domination linguistique. Quelques oeuvres sont prémonitoires :La Meule, ou Bois flottants travaillent les pastels dans le même esprit. L’élan est donné en 1996 où le mélange des pastels avec l’essence permet de modeler des traits stables et des formes fluides répondant à la mobilité de la vie de l’imaginaire. A l’aide de pinceaux de différentes duretés et épaisseurs cette technique rend le pastel fluide : il s’établit une harmonie de réponses entre les mouvances de la pensée non-verbale et la malléabilité des pastels ainsi dilués comme dans Paysage au pin. Paysage au pin conserve des signes iconiques identifiables. Ce n’est pas encore tout à fait un paysage intérieur.

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2- Le geste libéré

Suite de 15 acryliques sur toiles dont les mouvements s'enchaînent formant une frise, mais dont chaque panneau peut vivre isolément. Il n’empêche que s’exprime ainsi comme l’écoulement d’un fleuve, donc l’intrusion du temps, donc une succession narrative comme les chapitres d’un livre. Libre à chacun de se raconter des histoires pourvu qu’elles ne soient pas figées dans un texte, dans un récit. Les œuvres ne sont pas des illustrations, elles prouvent au contraire la mise à distance du verbal. Les formes d’ailleurs parfois s’enchevêtrent et jouent d’ambiguïtés, de leurs métamorphoses, elles nous échappent, elles sont mouvantes, insaisissables, indéfinissables. Les formes viennent d’un geste libéré comme d’une écriture automatique, un « cadavre exquis » horizontal qui se lit de gauche à droite. L’oeuvre qui se veut libération gestuelle est encore nostalgique du récit. Les formes naissent d’un geste ample sur la toile, puis elles sont peintes et sculptées, brodées, venues de la terre ou de l’eau, du feu, de l’air, des végétaux, des minéraux, d’êtres de chair et de nerfs, de nervures, de fluides… de la danse des corps de toutes sortes confondus, enlacés ; de la confusion des espèces et des mondes. Et d’une toile à l’autre se poursuit le déroulement, la prolongation du geste et de la couleur, la précédente engendre la suivante et ainsi de suite, et dans ce chaos surgissent des objets sans nom, des objets mentaux nés de l’inconscient chargé de mémoire sensible.

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3- Le terreau de l'espace mental

Viennent avec plus d’assurance les tableaux d’acrylique sur toile dans lesquels s’affirment les paysages intérieurs avec des formes suggestives d’étranges pays. Ce qui conforte l’idée de la nécessaire richesse du musée imaginaire : en cela, l’œuvre de culture se distingue de l’art naïf ou de l’art des fous : nous sommes dans des univers différents. Le jeu devient de plus en plus libre, les formes surgies du terreau culturel sont de plus en plus métaphoriques, où se jouent des sensibilités plurielles Masques, totems, Orient, paysages, êtres étranges… Et voilà qu’au détour de l’imaginaire surgit le masque ou la silhouette, narrateur ou chamane, certainement pas un simple découpage collé dans un décor. La figure qui surgit sans prévenir témoigne de son existence à l’égal des autres choses et des êtres sans âge, sans dimension aucune, dans un univers sans repères, sans mesure, mais non pas démesuré. Il participe à toute vie, avec la terre, l’eau, le soleil. Avant l’homo sapiens peut-être. Avant la parole. Et pourtant nourri d’interférences culturelles. Mon œuvre ne serait pas telle sans mes lectures, sans mes voyages, sans la réflexion sans cesse menée sur la création artistique, et sur la confrontation de la peinture avec la poésie. Avec la conviction que la rhétorique classique, comme la linguistique, sont des sciences du langage, mais qu’elles ne peuvent pas expliquer l’acte la création et son pouvoir libérateur. Le travail sur le dialogue entre la peinture et la poésie nous affranchit d’un support préétabli et même des titres, des interprétations données. Je dessine et peins sans avoir de projet énonçable. La main pensante se fait plus intuitive, les formes sont l’expression de cette libération par rapport au langage. Les formes deviennent en elles-mêmes poétiques, se prêtant à l’ultime émergence de métaphores dans lesquelles la matière et en particulier le support vont jouer un rôle expressif. Cette période de création a certainement été inconsciemment influencée par une interrogation sur les écritures non-verbales ; traçages, projection des formes mouvantes qui peuplent l’imagination, comme un coup de sonde aléatoire dans l’inconnu de la pensée visuelle: une pensée sans langage! Ainsi se confirme ce que j’ai pressenti et ensuite essayé de démontrer “ l’art n’est pas un langage ”, puisque sa particularité est d’échapper aux codes, aux modes de production. Ce point de vue se démarque de la domination linguistique et libère la création par rapport au langage. S’expriment les “ correspondances ” quand l’ordre du langage ne divise pas nos sensations : la création est un retour au monde d’avant la séparation. Les oeuvres inventent des “signes-vifs” qui ne sont pas identifiables ou dont la reconnaissance est secondaire. Ces signes non-verbaux incitent au jeu des correspondances, qu’elles soient dans le domaine des sensations ou de la culture : nous ne devons pas séparer ces domaines qui apportent des possibilités de jouissance, d’émotion, distinguant l’homme des machines. N’est-ce pas, avec ce grand problème de la modernité, le rôle éminemment social, philosophique et humaniste de l’art? Les titres ne jouent plus qu’un rôle mnémonique, utiles pour un répertoire, en espérant que le titre ne restreindra pas l’ouverture de l’œuvre au jeu de l’imagination sensible, et même sensorielle, comme les notes d’une partition suscitent des sensations personnelles liées à notre propre existence. Le « lecteur » devient créateur, l’oeuvre aura de multiples vies qui n’appartiennent plus au peintre. J’ai moi-même éprouvé cette labilité en découvrant d’une année sur l’autre, des sensations et des émotions nouvelles à propos d’un même tableau. Le titre doit être écarté de la lecture contemplative. En fait, l’interprétation revient au spectateur. Pour l’artiste, la voie est ouverte pour l’éclosion de formes intuitives. : mirages, germinations, végétal, animal, danses, sables, eaux, graines, désert, larves, migrations, oiseaux, insectes. Scénographies faites des bribes de l’univers mental, ce qui flotte et monte à la surface est malaxé, recomposé et forme un monde mouvant, indescriptible. Apparaissent des acteurs, des bribes de récits qui se bousculent, des mythes à découvrir, des figures drolatiques, un bric-à-brac des brisures de l’inconscient.